La liberté religieuse soumise à la CJUE : discrimination et port du voile en entreprise
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a été saisie par les Cours de cassation française et belge concernant l’interprétation de la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
Les affaires concernaient des salariées qui, travaillant au contact de la clientèle, avaient été licenciées pour avoir refusé d’ôter leur voile.
Dans deux arrêts rendus le 14 mars 2017, la CJUE rappelle que la notion de religion couvre aussi bien les convictions religieuses que la manifestation en public de la foi religieuse. C’est la notion d’expression des convictions religieuses qui pose difficulté en l’espèce.
La CJUE procède à une distinction :
En présence d’une règle interne
En présence d’une règle interne d’une entreprise privée (clause du règlement intérieur par exemple) interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, la CJUE a pu considérer qu’il n’y avait pas de discrimination directe à l’interdiction de porter le foulard islamique, dans la mesure où :
- une telle règle vise indifféremment toute manifestation de telles convictions
- tous les travailleurs de l’entreprise sont traités de la même manière en leur imposant une neutralité vestimentaire générale et indifférenciée.
Attention : une clause du règlement intérieur qui interdirait spécialement et uniquement le port du voile islamique ou d’une tenue apparentée constituerait une discrimination directe.
Il convient de rester particulièrement prudent dans la rédaction de ce type de clause du règlement intérieur car cela pourrait néanmoins constituer une discrimination indirecte, si elle a pour effet de désavantager particulièrement les personnes adhérant à une religion ou à certaines convictions.
En l’absence de règle interne
En l’absence de règle interne relative à la neutralité des salariés, l’absence de discrimination sera bien plus difficile à démontrer.
La CJUE précise en effet qu’il est nécessaire que soit démontrée une exigence professionnelle nécessaire et déterminante pour justifier une différence de traitement qui serait fondée sur la religion du salarié.
Prudence donc, car cette notion repose sur une exigence objectivement dictée par la nature et les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause, et ne saurait couvrir des considérations subjectives.
En l’espèce, la CJUE considère que la volonté de l’employeur de se conformer au souhait particulier de la clientèle, consistant à ne pas travailler avec une femme portant le voile, est une considération subjective et ne constitue pas une exigence professionnelle susceptible d’écarter la discrimination.
Le licenciement de la salariée, motivé sur son refus d’ôter son voile à la suite de la demande du client, sera alors discriminatoire.
Cela nous rappelle une nouvelle fois que la notion de religion en entreprise, et plus généralement celle de la neutralité, sont à manier avec la plus grande prudence…
François DELABRE