Dans un arrêt du 8 mars 2017, la Cour de cassation a interdit le jeu de la compensation entre la créance que le dirigeant pourrait détenir contre la société en procédure collective dont il est le dirigeant, et les sommes mises à sa charge au titre de sa condamnation dans le cadre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif.
1/ L’interdiction de la compensation
Dans l’espèce jugée par la Cour, le dirigeant était créancier de sa société placée en procédure de liquidation judiciaire, au titre du compte courant d’associé qu’il détenait.
Condamné à supporter une partie de l’insuffisance d’actif, le dirigeant a tenté d’opposer l’exception de compensation au liquidateur, qui exécutait la condamnation.
La Cour d’appel de Bordeaux a autorisé le jeu de la compensation, en considérant que les conditions étaient réunies.
La Cour a censuré cette analyse, au visa des dispositions de l’ancien article L 651-2 du Code de commerce, dans sa version précédent la réforme de l’Ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008.
Plus précisément, elle a rappelé que la répartition du produit de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif devait se faire au marc le franc, entre les créanciers.
Cette solution a été reprise par le législateur en 2008, et codifié dans le nouvel article L 651 -2 alinéa 3 du Code de commerce qui dispose désormais clairement que : « Les dirigeants ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés. »
Elle a été étendue aux EIRL condamnées à la responsabilité pour insuffisance d’actif, qui ne pourront exécuter leur condamnation que sur le patrimoine non affecté.
Si cette solution semble morale, elle présente cependant des incohérences.
2/ Les incohérences de l’interdiction de la compensation
- Le dirigeant condamné à supporter l’intégralité du montant de l’insuffisance d’actif, qui ne peut compenser la créance qu’il détient contre la société, supportera plus que le montant de l’insuffisance d’actif.
En effet, la créance que la Cour et le législateur lui interdisent de compenser, sera prise en compte dans le montant de l’insuffisance d’actif.
Or le montant de la condamnation du dirigeant au titre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ne peut en principe jamais excéder le montant de l’insuffisance d’actif.
- Par application de cette interdiction de la compensation, plus le dirigeant a soutenu financièrement la société, plus le montant de sa condamnation, si elle est égale à la totalité de l’insuffisance d’actif sera important…
3/ les limites de l’interdiction.
L’effet de l’interdiction édictée par la Cour de cassation et par le législateur dans la réforme de 2008 reste cependant limité au montant de la condamnation du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif.
En d’autres termes, si le montant de sa créance dépasse celui de sa condamnation, rien ne semble interdire, en principe, le jeu de la compensation pour cette fraction excédentaire.
4/ Les dirigeants visés
L’interdiction édictée par la Cour et par l’alinéa 3 de l’article L 651-2 du Code de commerce vise principalement les dirigeants les plus solvables.
En effet, si la compensation visée par la Cour dans l’arrêt du 8 mars 2017 était autorisée, seuls en bénéficieraient les dirigeants dont les capacités financières leur permettent d’apporter des fonds à la société via un compte courant d’associé, ou de se porter caution de la société, et donc de « récupérer » les sommes auxquelles ils ont été condamnés.
Cette interdiction permet de rétablir une égalité entre les dirigeants condamnés dans le cadre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif qui devront tous supporter le montant de la condamnation sur leurs deniers personnels.
Cette solution est cohérente avec l’esprit de la jurisprudence aux termes de laquelle les juridictions sont appelées à prendre en compte les capacités financières du dirigeant avant de prononcer une condamnation au titre de la responsabilité pour insuffisance d’actif.
On rappellera enfin que cette interdiction ne doit pas dissuader les dirigeants de soutenir financièrement la société : la contribution d’un dirigeant, sur ses deniers personnels, aux besoins de trésorerie de la société est prise en compte par les juridictions amenées à statuer sur une sanction commerciale ou sur la responsabilité pour insuffisance d’actif du dirigeant.